Rencontre avec Michèle François, maraîchère bio à Saint-Pol-de-Léon (Finistère)

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À Saint-Pol-de-Léon, au cœur du Finistère, Michèle François cultive bien plus que des légumes. Sur la ferme de Kerguelen, elle défend une vision engagée de l’agriculture, respectueuse du vivant et ancrée dans le territoire. Ancienne professionnelle du tourisme, elle a choisi de se réinventer en reprenant avec son mari une exploitation familiale convertie en bio. Rencontre avec une maraîchère passionnée, qui mêle savoir-faire agricole, sensibilisation du public et engagement pour un modèle plus équitable.

Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre activité et exploitation ?

Je m’appelle Michèle François et je suis installée depuis 2020 sur la ferme de Kerguelen, à Saint-Pol-de-Léon, en Bretagne.
Mon parcours n’a pas toujours été celui d’une agricultrice : j’ai d’abord travaillé trente ans dans le tourisme avant de rejoindre progressivement l’exploitation de mon mari, agriculteur depuis 1986. 

Au fil du temps, nous avons pris conscience de l’impact de l’agriculture sur l’environnement, la santé et l’alimentation.
C’est pourquoi nous avons décidé de convertir la ferme en agriculture biologique en 2006. Une démarche qui a abouti en 2008 avec l’obtention du label bio. Ce choix était guidé par l’envie de produire autrement, plus en phase avec nos valeurs, en respectant davantage le vivant et les équilibres naturels.

Notre exploitation s’étend sur 13 hectares que nous gérons à deux avec mon mari la majorité de l’année. Un stagiaire nous vient en renfort huit semaines chaque année.

Nous avons également développé Légumes Project, un espace muséographique au sein de la ferme qui accueille le grand public. Nous y menons des visites guidées pour faire découvrir l’agriculture dans son environnement pédagogique, historique et économique.

Que produisez-vous ?

Nous avons fait le choix de garder une ferme à taille humaine, tout en cultivant une grande diversité de légumes : artichauts camus, choux kale vert, rouge et noir de Toscane, brocolis, choux-fleurs, et oignons rosés, emblématiques de la région depuis le XVIIe siècle. Chaque culture est adaptée aux spécificités de notre sol et au climat local.

Quels modes de production utilisez-vous ?  

Nous avons arrêté de labourer nos terres afin de ne pas perturber la vie du sol. Depuis 15 ans, nous mettons en oeuvre des techniques agroécologiques comme l’utilisation du fumier, qui nourrit naturellement la terre et limite l’érosion.

Aussi, pour favoriser la biodiversité, nous avons mis en place plusieurs actions : rotation des cultures, bandes fleuries, et plantation de deux kilomètres de haies, en complément d’anciens murets de pierre. Ces éléments créent des refuges pour les insectes et les oiseaux, tout en formant des couloirs écologiques à travers nos parcelles.

Dans cette démarche, nous veillons aussi à réduire notre consommation d’énergie fossile : la ferme n’utilise pas plus de 1 000 litres de fioul par an. Ce choix reflète notre volonté de limiter notre empreinte carbone tout en préservant les écosystèmes.

Pour mesurer les effets de ces pratiques, plusieurs expertises ont été menées. L’association Bretagne Vivante a réalisé un audit sur la biodiversité des insectes, et un ornithologue a identifié plus de vingt espèces d’oiseaux sur nos terres, dont les hirondelles, aujourd’hui en déclin. En observant notre environnement, nous avons aussi découvert que certaines zones d’orties servaient de sites de ponte pour les papillons. Cela nous a permis de porter un nouveau regard sur ces plantes souvent considérées comme indésirables, comme les rumex, qui ont pourtant leur place dans l’équilibre naturel.

Pourquoi avoir choisi de vous engager dans une démarche de commerce équitable ?

Nous sommes engagés avec Bio Équitable en France via notre coopérative Biobreizh. Avec l’aide du label, les adhérents abordent des discussions essentielles, comme celle du revenu paysan, sans tabou. Nous avons réussi à fixer des accords avec nos partenaires commerciaux nous permettant de sécuriser la vente de nos produits à un prix équitable. Aujourd’hui, 40 % de nos légumes sont commercialisés par ce circuit.

Par ailleurs, Bio Équitable en France nous apporte un véritable soutien moral face au désengagement des politiques, de la PAC et de certains distributeurs. Il nous rappelle que nous ne sommes pas seuls à défendre ce modèle d’agriculture. Les modes de culture fixés par le cahier des charges du label vont dans le sens de la résilience, et nous sommes persuadés que c’est ce vers quoi il faut tendre.

Michèle François
Michèle François, maraîchère bio à Saint-Pol-de-Léon (Finistère)

Quels sont les enjeux de l’agriculture de demain selon vous ?

L’alimentation est un enjeu crucial au cœur de nos vies. Elle touche à tout : au social, à l’emploi, la santé, la société, l’économie du travail, l’écologie, la souveraineté alimentaire, la logistique, la production… Pourtant, les décisions prises aujourd’hui par les pouvoirs publics ne reflètent pas cette importance. Et la législation actuelle présente de réelles failles. Par exemple, des groupes agroalimentaires peuvent acquérir des terres agricoles sans aucun contrôle. Or certains le font uniquement pour déverser leurs eaux usées. Cela représente un grand danger pour les paysans, la souveraineté alimentaire, l’environnement et notre santé. 

Pendant ce temps, la biodiversité continue de s’effondrer. Des milliers d’espèces d’insectes et d’oiseaux sont en déclin alors qu’ils sont essentiels au bon fonctionnement de notre écosystème. Pour inverser la donne et préserver la biodiversité, il faudrait encourager massivement les pratiques agricoles bio, voire agroécologiques, comme le fait Bio Équitable en France.

Enfin, il n’y aura bientôt plus assez d’agriculteurs et personne ne réagit. Il y a un manque de conscience collective sur l’impact de l’alimentation sur l’écologie et l’économie. Pourtant, l’Europe et les États disposent de leviers pour agir, mais restent trop laxistes. 

L’agriculture de demain ne pourra se construire sans une volonté forte, une réforme ambitieuse des politiques agricoles, et un vrai changement de cap vers une agriculture à taille humaine, durable et respectueuse du vivant.